Entre Success Story Et Engagement Collectif
Nicole Sulu, une femme entreprenante qui se démarque par la création du réseau d’affaires « Makutano », une plateforme ayant moins de 5 ans d’existence mais qui prend de plus en plus de l’ampleur dans le monde des affaires. Son objectif étant de convaincre différents participants, patrons, entrepreneurs, dirigeants de start-up et politiciens, à pouvoir se réunir autour de plusieurs thématiques durant quelques jours. Cette plateforme met donc en relation les entrepreneurs, les décideurs politiques et les cadres d’entreprises. Nous vous présentons ci-dessous l’interview intégrale de Madame Nicole Sulu, femme partagée entre l’entrepreneuriat et l’engagement collectif.
1. Votre cheval de bataille se situe entre l’entrepreneuriat et l’engagement collectif ; pourquoi l’engagement collectif est-il si important pour vous?
N.S. Il y a deux choses. Il y a un parcours de businesswoman et celui du Makutano. Le premier parcours est loin d’être évident, comme on peut aisément le deviner, mais il n’y a rien eu d’insurmontable. À ce jour, s’il faut parler d’un sentiment pour les deux parcours, je dirai que c’est celui de la confiance en ce pays. J’ai fait l’expérience que c’est possible ici, au Congo, contre tous les clichés et les préjugés. Le Makutano est un réseau d’abord porté par les Congolais eux-mêmes, jeunes comme vieux, locaux comme diaspora. L’hôtel Sultani tient, malgré la concurrence et un environnement économique difficile, malgré la présence d’une femme à sa tête et malgré qu’il soit avant tout congolais !
2. La société congolaise est dans une phase où les femmes se battent pour se faire une place dans le monde de l’entrepreneuriat, mais y aurait-il des avantages à être une femme dans cet environnement laborieux?
N.S. Les femmes ont leurs propres atouts. Bien des études ont prouvé que les sociétés tenues par des femmes donnaient des meilleurs résultats. On ne le dira jamais assez, le problème majeur est qu’elles s’autocensurent. Elles s’arrêtent toutes seules et se mettent des barrières comme si elles se refusaient d’aller plus loin. Bien sûr, il y a encore du chemin pour arriver à une équité entre les femmes et les hommes. Et il est vrai que nous avons une société qui se doit d’évoluer sur pas mal de points, mais je crois que le départ restera la femme elle-même. Nous devons mieux nous organiser entre nous pour voir les choses évoluer plus rapidement. Plus de confiance (ce sentiment qui reviendra souvent dans mes propos) pour, d’abord, oser pousser les portes.
Cette année, le moment Makutano dédié aux femmes sera directement associé au « Women in Business » network, lié à l’Africa CEO Forum, et dont je suis la co-représentante pour l’Afrique centrale. Le thème abordé est « WOMEN ON BOARD ». Quelques cinquante femmes leaders présentes à ce rendez-vous du 17 septembre se retrouveront autour de la thématique « Women on board », visant à favoriser la présence des femmes dans les Conseils d’Administration des entreprises en Afrique, et plus particulièrement en RDC. Notre objectif lors de cette rencontre est donc de lancer les premiers cercles d’influence rassemblant des femmes leaders africaines, de leur offrir une expérience enrichissante de networking et d’influencer pour une plus grande participation des femmes dans les Conseils d’administration.
3. En tant que précurseur d’un réseau aussi grand que le Makutano, avez-vous un message aux jeunes femmes qui aimeraient se lancer dans l’entrepreneuriat mais qui hésitent encore ?
N.S. Qu’elles foncent ! Elles ont le droit d’essayer et de se planter. Elles doivent savoir que c’est normal d’échouer les premières fois. Qu’elles n’hésitent pas une seconde car le Congo et l’Afrique changent ! Et de plus en plus vite !
3. bis : Selon vous, quelles sont les qualités que doivent développer les femmes entrepreneures locales afin de se distinguer ?
N.S. En ce qui concerne la qualité, il y en a 3 pour moi qui sont identiques :
La compétence, la compétence et la compétence ! Les affaires n’ont pas à être « genrées ».
Comme dans tout métier, il faut d’abord être technique, dominer son sujet. Le respect ne viendra que de là. Si en plus, on y ajoute de la rigueur, le pari est presque gagné !
4. Vous êtes une femme entrepreneure émergente et mère de famille, comment faites-vous pour concilier vie professionnelle et vie familiale ?
N.S. La vérité vraie est que c’est de la pure acrobatie. Non entrainée, s’abstenir ! Il nous faut être à la fois docteure, plombière, psychologue, couturière, bonne cuisinière, institutrice, épouse, sœur et j’en passe. À cela, il faut ajouter une entreprise à développer dans un climat des affaires difficiles. Pour y arriver, le soutien familial est une grande ressource, ce qui est mon cas.
Et je fais la fierté et le soutien des trois hommes qui partagent ma vie : mon mari et mes deux garçons.
Le jeu en vaudra toujours la chandelle et au vu de la situation actuelle de l’Afrique, seules les femmes ont le profil (rires). Ne dit-on pas que l’avenir de l’Afrique est féminin ?
5. Pour la quatrième édition du Makutano, combien de participants attendez-vous en général et combien de femmes en particulier?
N.S. Nous attendons environ 400 participants avec une centaine de femmes. C’est encore disproportionné mais très encourageant. N’oublions pas qu’il y a encore vingt ans, ces “quotas” auraient été impossibles.
5. bis : Quelle importance accordez-vous à la participation des femmes au Makutano ?
N.S. Primordiale ! Nous organisons depuis la création de ce forum un moment dédié aux femmes et, comme déjà expliqué plus haut, cette année, il est associé au WOMEN IN BUSINESS. Ce moment a pour but de nous permettre de nous rencontrer, de dénouer certaines appréhensions, d’encourager les plus timides, de marquer également notre solidarité.
6. Vous dirigez depuis quelques années le Makutano, dites-nous un peu plus sur votre cursus académique et professionnel.
N.S. Je suis orthophoniste de formation avec un complément en gestion des entreprises. J’aime souvent dire que j’ai un parcours atypique et autodidacte car mon parcours professionnel n’a rien à voir avec mon cursus académique. J’ai géré pendant plus d’une dizaine d’années un centre hospitalier avant de gérer le Sultani Hôtel. Cela a facilité mes entrées à différents Conseils d’administration dont la Vice-présidence de la chambre de commerce belgo-congolaise.
7. Ayant pour thème cette année « Le Local Content ». Quelle place y réservez-vous pour les femmes ?
N.S. Le “Local content” a pour premier objectif la mise en place d’écosystèmes industriels avec les ressources locales à l’intérieur du pays notamment. Une politique de « Local content » permet ainsi de diversifier l’économie et de renforcer durablement les compétences locales. Il y a tout à faire ! Et les femmes doivent comprendre qu’elles ont leur place dans cette reconstruction du tissu industriel en RDC. Le Makutano est là pour les inviter à se l’approprier.
7 bis : Combien de femmes congolaises avez-vous déjà promues et dans quels secteurs?
N.S. Le Makutano permet aux acteurs économiques de se rencontrer et de faire des affaires ensemble. Encore une fois, il ne faut pas « genrer » les affaires, je crois que ce n’est pas sain. Il faut un rééquilibrage, et surtout, commencer par encourager les jeunes femmes à s’y engager, à les former pour qu’elles se préparent aux défis qu’elles vont devoir relever. Pour ce qui est des secteurs d’activités, nous rencontrons des femmes du tertiaire, du bancaire, de l’agro business, des mines, et même de l’industrie du pétrole. Il est même assez surprenant de voir à quel point c’est diversifié.
8. Ya-t-il des femmes qui vous inspirent et qui pourraient devenir également Marraines du Makutano pour les prochaines éditions à l’instar de Tony Elumelu ou même du Président de la République honoraire du Ghana, John Mahama ?
N.S. J’ai une douce et particulière admiration pour l’ex Présidente Sirleaf, pour Michelle Bachelet, Simone Veil, Michelle Obama pour le pari réussi, Eve Bazaiba pour sa force et sa détermination. Bref, pour toutes ces femmes qui font que l’histoire s’écrive autrement. Je me dois de citer nos sœurs qui portent haut les couleurs du flambeau : Marie-Chantal Kaninda, Monique Dieskes, Sandrine Mubenga, Raïssa Malu, Rebecca et Laura Ilunga, Gisèle Mudiay, Dany Nyembwe, Fifi Kikangala, Tshibwabwa Mua Bay-Kamba, Pamela Baketana, Charlotte Kalala, Amanda Malela, Yolande Elebe ma Ndembo, etc. Vous voyez, je pourrai continuer ainsi des pages et des pages. Elles me laissent toutes sans voix. Mon admiration va enfin vers toutes ces femmes qui, à 18h passées, bassines sur la tête et errant dans les ruelles de la ville de Kinshasa, essaient de vendre encore quelques fruits, du pain et autres avant de boucler la journée pour tenir toute une famille. Voilà pour moi le sens même de l’abnégation, de la résilience et du combat.
9. Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans la gestion quotidienne de l’organisation des éditions de Makutano ? Quels sont les résultats que vous attendez de ce réseau ?
N.S. La difficulté est principalement d’aller au-delà du procès d’intention. Tout le monde déclare vouloir agir, s’investir, mais très peu parviennent à inscrire cela sur leur agenda. Il faut pousser la plupart des membres à prendre ce temps de l’action. Pour ce qui est des résultats, ils sont multiples et consistent en priorité à imaginer des solutions au lieu de rester sur la liste des constats et des attentes. Il faut que les chefs d’entreprises congolais cessent de tout attendre de l’État. Ils doivent être les premiers acteurs d’un changement de mentalités et d’une amélioration du climat des affaires. C’est à nous de donner l’impulsion. Et nous le faisons. L’Etat suivra, c’est évident, il a tout à gagner à ce que nous soyons forts !
Du point de vue organisationnel, la grande difficulté consiste à convaincre les étrangers de faire le pari de la RDC en ce moment et, au moins, de les convier au pays. C’est tout un travail de diplomatie, sachant que l’actualité ne nous aide pas souvent. Il reste également l’éternel problème de la logistique (rires).
10. C’est quoi l’engagement collectif et pourquoi ?
N.S. L’engagement collectif, c’est le seul moyen de parvenir au but commun. Pour ça, je pense que tout le monde est d’accord sur ce point ! Par contre, il ne suffit pas de lancer des poncifs du genre « Ensemble, on est plus fort », ou de citer avec un petit air moralisateur Mandela qui disait « qu’en agissant seul, nul ne peut prétendre réussir », tout en continuant à jouer au « perso » dès que la conférence se termine. L’engagement collectif consiste donc à prendre les qualités et les forces du groupe tout en acceptant d’en subir les éventuels désagréments. Le collectif, c’est un peu comme les amis, c’est lorsqu’il va mal ou qu’il est en péril qu’il faut le soutenir et se battre pour le défendre, et pas uniquement lorsqu’il rapporte quelque chose. Il en va de même au sujet du Congo, il nous faut apprendre à avancer et à travailler ensemble