Doctorante, chef des travaux et chargée des programmes à l’Organisation des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes, Catherine Odimba est une experte en matière des droits des femmes. Au-delà des intérêts scientifiques, elle est réellement passionnée par les questions de genre et prépare sa thèse sur les opportunités qu’offre la décentralisation pour la participation des femmes aux espaces de prise de décision.
Après des années dans l’enseignement, Catherine Odimba a été consultante au bureau des droits de l’homme à Genève pendant trois ans au sein d’un mécanisme d’experts pour la défense des droits des peuples autochtones. Forte de cette expérience, elle a travaillé pendant deux ans comme consultante dans une étude sur les élections de 2011. Brillante et dynamique, Catherine Odimba a collaboré avec des structures internationales comme Alerte international, un organisme qui travaille sur la résolution des causes profondes des conflits auprès des populations ; a écrit dans des revues reconnues au sujet de ses travaux liés au droit des peuples autochtones.
Catherine Odimba estime que l’entrepreneuriat féminin est une question qu’il ne faut pas prendre de manière isolée, car cela fait partie du concept de l’évolution du Congo. En 1970, avec la Zaïrianisation, la RDC a été frappée d’une crise économique. Par conséquent, les hommes qui autrefois étaient puissants économiquement ne pouvaient plus prendre en charge leurs familles. Sur ce, il y a eu des stratégies de survie qui ont été mises en place. Les femmes ont pris la relève en utilisant plusieurs méthodes : phénomène « Moziki », le commerce informel, différentes associations des femmes en majeure partie à caractère socio-culturel mais qui ont pris des allures d’associations féministes à caractère économique. Toutes ces choses ont fait que les femmes puissent se plonger dans l’entrepreneuriat mais pas de manière structurée car c’était une question de survie. Mais avec le temps, cela est devenu un besoin permanent. En 1990, avec la démocratisation, il y a eu libéralisation des espaces politiques et sociaux mais les femmes se sont plus orientées vers les organisations féminines (ONG) plutôt que vers les partis politiques. Cela a permis aux femmes de se créer des espaces générateurs de revenus pouvant les aider à subvenir aux besoins de leurs familles.
Pour Catherine, l’entrepreneuriat féminin ne s’impose pas mais le contexte dans lequel nous vivons l’exige. Nous sommes dans un contexte où l’entrepreneuriat féminin est presqu’indispensable. Mais étant donné que l’entrepreneuriat féminin est beaucoup plus informel, il est parfois difficile pour la femme d’entreprendre. Toutefois, l’entrepreneuriat reste un moyen pour autonomiser les femmes, car plus les femmes sont autonomes, moins elles sont vulnérables, et peuvent effectivement participer au développement du pays. Une femme autonomisée économiquement a beaucoup plus de chances de se faire un nom qui fera en sorte qu’elle soit plus visible dans le monde politique ou social et avoir une certaine reconnaissance au niveau de sa communauté. Pour que la femme atteigne un niveau d’autonomie économique, cela ne dépend pas que d’elle. Ça dépend aussi de l’environnement tel que le secteur juridique. Il faut qu’il y ait des lois aidant son entreprise à aller de l’avant.
ONU Femme travaille avec différents partenaires pour avoir les normes, les lois, les mesures positives qui peuvent aider à ce que la femme soit dans un environnement juridique qui lui permet de mieux évoluer. Mais au-delà de cela, elle travaille sur la femme en particulier et les organisations féminines en général. Sans organisation, il y a des difficultés auxquelles la femme est butée. Elle peut trouver la réponse dans un minimum d’organisation, de leadership, de capacité à agir et à connaitre ses droits. ONU Femme agit aussi sur les institutions politiques, les entreprises tant publiques que privées pour faire en sorte qu’il y ait un peu plus d’espace pour les femmes et leur participation économique. Pour que la femme soit en mesure de participer économiquement, il faut que les institutions qui travaillent sur les questions d’autonomisation économique soient aussi sensibles aux questions de genre. Cette organisation travaille aussi stratégiquement sur les communautés afin d’éradiquer des perceptions, pratiques, attitudes au niveau des communautés qui font en sorte que la femme n’entreprenne pas. De sorte qu’il y ait un changement de comportement, beaucoup plus de réceptivité aux besoins des femmes dans le domaine de l’entrepreneuriat et lui faciliter beaucoup plus la tâche. L’ONU Femme veille à ce que l’environnement de la femme soit amélioré. Cette amélioration est valable tant pour la femme qui voyage que pour celle qui est au marché ou celle qui vend dans la rue portant son bassin de légumes sur la tête. ONU Femme veut trouver des mesures qui puissent alléger les peines de toutes ces femmes, la pénibilité de leurs entreprises et faire en sorte qu’elles aillent de l’avant. Actuellement, l’ONU Femme travaille sur un projet de trois ans financé par la banque mondiale, qui consiste en la vulgarisation de tous les textes favorables à l’entrepreneuriat féminin. Cela pourra engendrer un changement d’attitude des femmes vis-à-vis de certaines lois qu’elles ignoraient. Elles pourront revendiquer leurs droits. Le changement ne s’opère pas avec une seule femme.
Pour parler de changement, il faut qu’il y ait une action portée sur un nombre conséquent de femmes. C’est pourquoi ONU Femme encourage les femmes à aller vers les associations de femmes. En partenariat avec la Fédération des Entreprises du Congo, FEC en sigle, ONU Femme a réuni les organisations des femmes rurales en une grande plateforme nommée : « Le Réseau Nationale des Organisations des Femmes Rurales » pour animer ce grand réseau d’organisations de femmes rurales à travers les provinces (Kongo Central, Lualaba, Sankuru, Ituri, Tanganyika, etc).
Pour Catherine Odimba, trois facteurs sont essentiels pour la réussite de la femme entrepreneure : Premièrement, un cadre normatif favorable. Deuxièmement, la femme doit être capable et intéressée. Et troisièmement, un environnement socio-politique favorable au niveau communautaire et toutes les institutions de la République c’est-à-dire : des hommes, des jeunes, des femmes qui soutiennent les femmes entrepreneures.
En ce qui concerne la parité Homme-Femme, pour elle la parité n’est pas encore effective. « Nous savons qu’il y a une loi qui a été adoptée pour faire avancer l’agenda de la RDC vers la parité mais c’est un processus. Des mesures doivent être prises pour qu’on avance vers celle-ci. Toutefois, parce qu’il y a cette volonté, nous pensons que nous allons y arriver mais il faut l’engagement de ceux qui décident, des femmes elles-mêmes et de toute la communauté pour que nous puissions aller de l’avant. Surtout des députés nationaux et provinciaux parce que ce sont eux qui sont les gardiens de nos lois, ils contrôlent les lois et leurs mises en œuvre » souligne-t-elle.
Catherine aimerait un jour vivre dans un monde où il y aura : un gouvernement majoritairement composé de femmes, des femmes entrepreneures milliardaires et moins de violences faites aux femmes. « Toutes les femmes m’inspirent, mais celle qui m’inspire plus, c’est cette femme de Bunia qui vit la guerre mais qui continue à tenir debout » déclare cette militante des droits des femmes. Elle renchérit en disant qu’il y a des difficultés dans l’ensemble du pays ; il y a des difficultés liées au fait que les femmes sont femmes mais elles peuvent les surmonter si elles le veulent. Cela ne se fait non pas de manière individuelle mais collective.
« Naturellement, la prestation des femmes est jugée différemment de celle des hommes. La première dame est Première Dame non pas pour elle mais pour la population ; la femme qui est professeure l’est pour d’autres femmes. Être au service des autres c’est la vocation de la femme. Et c’est ainsi qu’on aura marqué notre passage sur la terre. On se bat souvent pour changer sa situation. Quand on a changé sa situation, on commence à se battre pour changer celle des autres. Et quand on a changé la situation des autres, on souhaiterait que ces derniers aussi pensent aux autres. C’est la chaine du combat des femmes. » a-t-elle conclu.
Prisca ALISI